
Les causes des neutropénies sont très variées. Les plus fréquentes des neutropénies acquises sont dues aux infections, aux médicaments ou à une carence en certains nutriments.
Définitions
Les polynucléaires neutrophiles sont des cellules du sang à noyaux polylobés dont le cytoplasme comporte de nombreuses granulations dites neutrophiles. Ils constituent environ 60 à 70 % des globules blancs. Ils se forment dans la moelle osseuse.
Les polynucléaires neutrophiles, couramment appelés neutrophiles ou encore granulocytes, constituent la principale défense de l'organisme contre les infections bactériennes et les infections mycosiques.
Lorsque la neutropénie est présente, la réponse inflammatoire à de telles infections est faible. Le risque infectieux est augmenté en cas de neutropénie.
La neutropénie est définie par une diminution du nombre absolu de polynucléaires neutrophiles (PNN) circulants. Il est important de se fier au chiffre absolu des PNN et non au pourcentage donné par la formule sanguine.
On parle de neutrophile chronique si sa durée dépasse six mois.
Chez les adultes, on parle de neutropénie quand le nombre des neutrophiles est inférieur à 1500/µL (< 1,5 × 109/L).
Certains groupes ethniques peuvent présenter des valeurs de PNN plus faibles, notamment les Afro-Américains (environ 1200/µL [1,2 × 109/L), les juifs yéménites, les Saoudiens, les Éthiopiens, les Haïtiens. On parle alors de neutropénie ethnique bénigne.
Les nouveau-nés présentent un nombre absolu de PNN nettement plus élevé, mais ces valeurs diminuent légèrement entre deux semaines et un an après la naissance.
On parle de neutropénie légère lorsque le nombre absolu des neutrophiles est compris entre 1000 et 1500 cellules/µL (1-1,5 × 109/L).
Une neutropénie modérée correspond à un nombre absolu des neutrophiles entre 500 et 1000 cellules/µL (< 0,5 × 109/L).
On parle de neutropénie sévère quand le nombre absolu des neutrophiles est inférieur à 500 cellules/µL (< 0,5 × 109/L). Les infections récidivantes sont de loin les manifestations cliniques les plus fréquentes en cas de neutropénie sévère.
On parle d’agranulocytose quand le nombre absolu des neutrophiles est inférieur à 200 cellules/µL (< 0,2 × 109/L). Presque tous les patients avec un taux de PPN inférieur à 100/µL présenteront une infection dans un délai de une à quatre semaines.
Les neutropénies peuvent être dues à :


- une diminution de la production des PPN par la moelle osseuse (mécanisme dit central) ;
- une destruction accrue (mécanisme dit périphérique) ;
- une séquestration dans des pools (réservoirs) situés au niveau de la paroi des vaisseaux ou au sein des tissus.
Selon le plan diagnostique, on distingue :
- les neutropénies constitutionnelles, liées à une pathologie génétique complexe ;
- les neutropénies constitutionnelles primitives, liées à un déficit immunitaire dit primitif, qui se manifeste au cours de la petite enfance et l’enfance ;
- les neutropénies néonatales ;
- les neutropénies acquises, provoquées par une maladie ou un médicament, qui sont les plus fréquentes.
La neutropénie peut être asymptomatique. Elle est alors découverte fortuitement au cours d’un bilan biologique systématique. Le risque infectieux associé est variable, car il dépend de l’ampleur et de la durée de la neutropénie, mais aussi assez souvent du mécanisme central ou périphérique.
Il convient de surveiller les signes cliniques témoignant que le patient conserve une « réserve » et un fonctionnement adéquats des neutrophiles. La présence d’un abcès ou le prélèvement de matériel biologique purulent indiquent une réserve et une répartition adéquate des neutrophiles. En revanche, des ulcérations de la muqueuse buccale indiquent plutôt une mauvaise réaction des neutrophiles.
Démarche diagnostique
On suspecte habituellement une neutropénie chez les personnes qui ont des infections fréquentes ou inhabituelles.
L’interrogatoire du patient par le médecin recherche des signes généraux :
- asthénie (fatigue) ;
- anorexie ;
- frissons ;
- sueurs nocturnes ;
- inflammation ou lésion de la muqueuse buccale : mucite, aphtes, ulcères buccaux ;
- infections à répétition.
Les prises de médicaments doivent absolument être notifiées, et pas seulement les nouveaux traitements, dans la mesure où il peut s’agir d’une neutropénie médicamenteuse.
Parce que l'infection peut être discrète, l'examen clinique évalue donc systématiquement les sites d'infection les plus fréquemment en cause.
L’examen clinique doit ainsi rechercher :
- des lésions des muqueuses : ulcérations buccales ou anales ;
- une grosse rate (splénomégalie). La splénomégalie peut induire des cytopénies (neutropénie, thrombopénie, anémie), un trouble appelé hypersplénisme ;
- des ganglions augmentés de volume (adénopathies) ;
- un foyer infectieux ORL, bronchopulmonaire ou cutané : stomatite, pneumonie, cellulite, furonculose, point de ponction d’un cathéter vasculaire, site de ponction veineuse, par exemple.
Il importe de recontrôler la neutropénie en réalisant une nouvelle prise de sang, et ce d’autant que le patient peut ne pas présenter de symptômes. En effet, les signes infectieux classiques ne sont pas toujours évidents.
Il est important d’évaluer les autres lignées sanguines, car il peut exister une atteinte concomitante de plusieurs lignées, comme une thrombopénie (diminution du nombre des plaquettes), une anémie, voire de toutes les lignées (pancytopénie). La présence d’anomalies de plusieurs lignées à l’hémogramme peut orienter vers une cause hématologique ou infectieuse. S’il existe une lymphopénie en plus de la neutropénie, le risque infectieux est encore plus majoré.
Le médecin demande des sérologies virales, à savoir la recherche d’anticorps contre le VIH, le parvovirus B19, le virus d’Epstein-Barr (EBV), en particulier.
Qu'est-ce qui cause la neutropénie ?
Les causes (étiologies) des neutropénies sont très variées.
Une neutropénie aiguë (survenant en quelques heures ou quelques jours) peut être liée à une destruction rapide des neutrophiles ou à une diminution de la production de neutrophiles par la moelle osseuse.
La neutropénie due à des anomalies intrinsèques des cellules présentes dans la moelle osseuse (cellules myéloïdes et de leurs précurseurs) est rare.
Agranulocytose
Le diagnostic de cette grave affection est fait sur l’hémogramme.
Il existe un risque d’infection bactérienne sévère.
Les signes infectieux classiques locaux, comme la rougeur (érythème), un gonflement, la douleur, des infiltrats, peuvent être atténués ou absents en cas de neutropénie sévère ou d’agranulocytose.
Les infections sont surtout à rechercher au niveau de la cavité buccale, de la peau et de la région rectale et génitale. Les poumons et l’appareil digestif peuvent être le siège d’une infection bactérienne.
L’hospitalisation s’impose, d’autant qu’il faut isoler le patient. Il s’agit d’une mesure de protection vis-à-vis du risque infectieux.
Le myélogramme est indispensable pour rechercher une éventuelle infiltration de la moelle osseuse par des cellules leucémiques.
Neutropénie médicamenteuse
Après les infections, les médicaments représentent la cause la plus fréquente des neutropénies acquises.
Deux mécanismes sont responsables d’une neutropénie induite par un médicament :
- une réaction immuno-allergique. Elle est due au fait que le médicament se fixe sur les neutrophiles, ce qui entraîne l’apparition d’anticorps spécifiques, ou au fait que le médicament induise la formation de complexes immuns circulants (complexe formé par un antigène et anticorps, présent dans la circulation sanguine) ;
- une toxicité directe. Certaines molécules médicamenteuses interfèrent avec le métabolisme des PPN et accélèrent leur mort cellulaire programmée (apoptose).
D’autres médicaments exercent une action au niveau de la moelle osseuse (sur les cellules myéloïdes).
Parmi les médicaments le plus souvent impliqués dans l’apparition d’une neutropénie médicamenteuse, on peut citer :
- des anti-infectieux, dont les pénicillines ;
- des anti-parasitaires, dont la dapsone ;
- des antithyroïdiens, dont le propylthiouracile ;
- des anti-inflammatoires, dont la sulfasalazine ;
- des anti-agrégants plaquettaires, dont la ticlodipine ;
- des anti-épileptiques ;
- des neuroleptiques, dont la clozapine ;
- des immunosuppresseurs, dont le rituximab.
Le traitement d’une neutropénie impose l’arrêt immédiat des médicaments potentiellement en cause. Un contrôle régulier de la numération sanguine est nécessaire.
La neutropénie disparaît plus ou moins rapidement après l’arrêt du médicament, généralement en une à trois semaines.
Neutropénie carentielle
Les carences en vitamine B12 ou en folates peuvent provoquer une neutropénie. La correction de la carence fait céder la neutropénie. Dans le cas contraire, le diagnostic doit être remis en cause.
Neutropénie idiopathique chronique
La neutropénie idiopathique chronique est un type de neutropénie chronique. Elle est plus fréquente chez les femmes.
Neutropénie secondaire à une chimiothérapie
Elle est la conséquence directe de la toxicité de la chimiothérapie anti tumorale vis-à-vis de la lignée granulocytaire qui, après maturation dans la moelle osseuse, donne les granulocytes (neutrophiles).
On parle de neutropénie fébrile lorsqu’une fièvre accompagne la neutropénie, alors souvent inférieure à 500 cellules/µL.
La neutropénie congénitale sévère ou syndrome de Kostman
Il s’agit d’un groupe hétérogène d'affections rares associées à diverses mutations, notamment sur le gène de l’élastase (ELA2) qui est présente dans environ la moitié des cas.
Cette affection, qui est observée principalement chez l’enfant, est grave du fait de la sévérité des infections qu’elle entraîne. Elle est responsable d’infections bactériennes fréquentes et récurrentes (par exemple, otite moyenne, pneumonie, sinusite, infections urinaires, abcès de la peau et/ou du foie).
Neutropénie cyclique
Il s’agit d’une affection génétique de transmission autosomique dominante, habituellement causée par une mutation du gène de l'élastase neutrophile ELANE. Elle est caractérisée par une neutropénie évoluant de manière cyclique, classiquement tous les 21 jours. Le rythme est en réalité variable. Il peut être de 28 jours, voire de 52 jours.
Les dosages répétés des neutrophiles sont donc nécessaires lorsque le médecin suspecte une neutropénie cyclique.
Des infections surviennent, tels que des stomatites sévères, des paradontopathies, des douleurs abdominales.
Autres neutrophiles congénitales
La neutropénie est l’une des anomalies de pathologies comportant un syndrome malformatif ou un déficit immunitaire.
Une prise en charge spécialisée est nécessaire.
Neutropénie des hémopathies
Une neutropénie peut être révélatrice d’une affection hématologique. Selon les cas, les mécanismes impliqués peuvent notamment être un envahissement de la moelle osseuse, un appauvrissement de production de la moelle osseuse, un dysfonctionnement immunitaire.
Le diagnostic d’hémopathie est fortement suspecté lorsque le patient présente une altération de l’état général, un amaigrissement, des adénopathies, de la fièvre. Il arrive que le frottis sanguin présente des cellules anormales alors même que le patient est encore asymptomatique.
Parmi les hémopathies, on peut citer en particulier :
- la leucémie à grands lymphocytes granuleux
La leucémie à LGL (large granular lymphocytes) correspond à l’expansion de certains lymphocytes (T ou NK). Une neutropénie est observée dans plus de 80 % des cas. Une grosse rate (splénomégalie) est présente dans 20 à 50 % des cas.
Des proliférations de lymphocytes T de type LGL sont également retrouvées dans l’hémoglobinurie paroxystique nocturne. Cette maladie est caractérisée par des poussées soudaines, souvent nocturnes, de destruction des globules rouges : c’est ce que l’on appelle une hémolyse. Celle-ci est responsable d’une coloration dite « rouge porto » des urines (hémoglobinurie). - le syndrome myélodysplasique
Cette affection hématologique, généralement du sujet âgé (surtout après 70 ans), peut toucher plusieurs lignées sanguines. Les PPN présentent des anomalies morphologiques portant sur les noyaux et les granulations. Le diagnostic nécessite une analyse de la moelle osseuse. Le traitement est du ressort d’un service spécialisé.
Neutropénies d’origine infectieuse
Plusieurs maladies infectieuses, virales, bactériennes et parasitaires, peuvent provoquer une neutropénie.
On peut citer :
- les hépatites virales ;
- la grippe ;
- l’infection à parvovirus B19 ;
- l’infection à VIH ;
- la typhoïde ;
- la brucellose ;
- la leishmaniose viscérale.
La neutropénie post-infectieuse est généralement de courte durée. Une neutropénie prolongée s’observe cependant en cas d’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) et celui d’Epstein-Barr (EBV).
Neutropénies auto-immunes
Syndrome de Felty
Il est défini par l’association d’une neutropénie et d’une splénomégalie au cours d’une polyarthrite rhumatoïde. Chez ces patients, la neutropénie est le plus souvent chronique. Elle peut être très sévère (inférieure à 200 cellules/µL) et responsable d’infections récidivantes. Plusieurs mécanismes (dont la présence d’auto-anticorps anti-PPN, l’apparition de complexes immuns, l’inhibition de la production par la moelle osseuse) peuvent être responsables de la neutropénie.
Lupus érythémateux disséminé
On observe une neutropénie chez environ la moitié des patients présentant un lupus érythémateux disséminé, encore appelé lupus systémique.
Autres pathologies auto-immunes
Le diagnostic biologique d’une neutropénie auto-immune repose sur la détection d’anticorps anti-neutrophiles.
Des neutropénies secondaires peuvent être observées dans d’autres affections auto-immunes, notamment dans :
- le syndrome de Sjögren (caractérisée par une sécheresse excessive des yeux, de la bouche et des autres muqueuses) ;
- la sclérodermie systémique (affection généralisée des artérioles, des microvaisseaux et du tissu conjonctif) ;
- la maladie de Basedow (maladie auto-immune de la thyroïde, se manifestant par une hyperthyroïdie).
Une neutropénie auto-immune secondaire peut également être rencontrée dans les déficits immunitaires primitifs (par manque d’anticorps ou déficit en cellules immunitaires), qui se manifestent généralement au cours de la petite enfance et de l'enfance par des infections récidivantes. Une prise en charge dans un service spécialisé s’impose.
Des neutropénies d’origine auto-immunes s’observent dans des infections virales, notamment celles du parvovirus B19, du VIH.
Comment diagnostiquer la neutropénie ?
La suspicion clinique de neutropénie repose souvent sur l’existence d’infections à répétition ou inhabituelles.
Le diagnostic est confirmé par la numération formule sanguine (NFS).
Les cultures sont la base du bilan diagnostique. Avant d’administrer des antibiotiques, il convient de réaliser des prélèvements de fluides biologiques (sang, urine, crachats, par exemple). Ceux-ci sont ensuite envoyés dans un laboratoire pour une mise en culture, afin de déterminer la présence de bactéries ou d’autres micro-organismes. Si les cultures sont positives, une antibiothérapie adaptée aux résultats de l’antibiogramme est administrée au patient.
Les infections fongiques représentent une cause fréquente de fièvres persistantes.
Des examens d'imagerie peuvent s’avérer utiles, une radiographie thoracique étant de toute façon systématique. Un scanner thoracique peut parfois être nécessaire chez les patients neutropéniques.
Si aucune cause évidente n'est identifiée, l’examen le plus important en matière diagnostique est le myélogramme (analyse de la moelle osseuse).
Des analyses de biologie moléculaire sont appropriées lorsque des causes génétiques ou congénitales sont évoquées.
Quel traitement en cas de neutropénie ?
Le traitement des neutropénies est symptomatique (faire remonter le taux des PNN, lutter contre une infection) et étiologique (on s’attaque à la cause responsable).
Quel antibiotique en cas de neutropénie ?
Si la fièvre est présente et qu’une infection grave est suspectée, une antibiothérapie empirique (efficace contre les organismes infectieux les plus fréquents) à large spectre, à forte dose et par voie intraveineuse, est immédiatement nécessaire, en particulier si la neutropénie est sévère.
Le facteur de croissance G-CSF (Granulocyte-Colony Stimulating Factor), facteur de croissance hématopoïétique granulocytaire humain, est utilisé dans les infections sévères. Ce produit, naturellement fabriqué par le corps humain, régule la production et la libération des polynucléaires neutrophiles fonctionnels à partir de la moelle osseuse. Le traitement par G-CSF (produit en laboratoire par génie génétique) permet de stimuler la production de neutrophiles. Il est injecté par voie sous-cutanée.
Il sert de thérapie biologique dans certaines formes de neutropénies pour réduire à la fois les risques d’infection et la nécessité d'administrer des antibiotiques. Il permet notamment de prévenir les infections bactériennes après chimiothérapie anticancéreuse et en cas de neutropénie chronique sévère.
Un traitement antibiotique préventif (prophylaxie antibiotique) peut être indiqué comme stratégie à court terme chez les patients présentant un risque infectieux élevé.
Parmi les mesures associées au traitement, il convient de souligner l’importance des soins buccaux destinés à prévenir l’aggravation d’une mucite ou à soulager la gêne due à la stomatite et aux ulcérations oropharyngées.
La décision d’hospitalisation dépend de la profondeur de la neutropénie ainsi que de la gravité de l’infection.
Parmi les éléments devant conduire à une hospitalisation, on peut citer :
- un mauvais état général ;
- un état de dénutrition ;
- une neutropénie profonde et prolongée ;
- une neutropénie inférieure à 500 cellules/µL et sans « réserve » de neutrophiles ;
- une altération des autres lignées sanguines.
L'opinion de Marc Gozlan
« Les causes des neutropénies sont multiples et variées. La neutropénie induite par les médicaments est l'une des causes les plus fréquentes de neutropénie, de même que les infections et les carences en vitamine B12 ou en folates. Une importante neutropénie est prévisible après l'administration d’une chimiothérapie anticancéreuse. La neutropénie prédispose à des infections bactériennes et fongiques. Le risque infectieux augmente avec la profondeur et la durée de la neutropénie. Le traitement dépend de la cause et de la gravité de la maladie sous-jacente ».